Carpentras : l'esprit sain de la bio

Le 29 octobre 2025

Carpentras : l'esprit sain de la bio

Pour prolonger l‘été, un séjour en Provence ne se refuse pas. Surtout quand on y rencontre, entre viticulture et arboriculture intensives, une bio placée sous de bons auspices, ancrée, inventive, toujours en croissance. Et combative face aux divers aléas.

Marie-Pierre Chavel.

Pour prolonger l‘été, un séjour en Provence ne se refuse pas. Surtout quand on y rencontre, entre viticulture et arboriculture intensives, une bio placée sous de bons auspices, ancrée, inventive, toujours en croissance. Et combative face aux divers aléas.

 

Marie-Pierre Chavel.

Symbole de la Provence, l'olivier a souvent été remplacé par les vignes ou d'autres fruitiers. À Mazan, au pied du Ventoux, Patrick Jacquier les cultive avec le moins d'interventions possible.
Shéhérazade Benhadda.

Suivez la guide !

Shéhérazade Benhadda

Directrice du magasin Biocoop L'Auzonne à Carpentras (Vaucluse)

Notre escapade « Sur le terrain » nous emmène dans une cité papale. Mais ce n‘est ni Rome, ni Avignon qui, au XIVe siècle, a accueilli le règne de plusieurs papes dans son palais gothique. Un indice ? Deuxième ville du Vaucluse. Alors ? Oui, bravo ! Il s‘agit de Carpentras, la capitale du Comtat Venaissin. Ce territoire de plaines et de collines où le soleil brille 300 jours par an (si, si, c‘est possible !) est encadré, du nord au sud, par les Dentelles de Montmirail, jolie petite chaîne de montagnes ciselées, le Ventoux, mont chauve qui défie les cyclistes, et le paisible Luberon. À l‘ouest, coulent le Rhône et la Durance dont les eaux abreuvent ces terres parfois arides. En 1274, après un passé mouvementé, elles deviennent une enclave pontificale qui perdure jusqu‘en 1791. Fuyant (sans papamobile !) une Italie agitée, un souverain pontife s‘y installe, retrouvant le climat méditerranéen et les paysages bibliques qu‘il a quittés : vignes, oliviers, cyprès, etc. Bien acclimatée donc, la papauté fait prospérer la région, perfectionne le système d‘irrigation et fait de la plaine du Comtat son grenier à grains quand elle s‘installe en Avignon.

Chapelet de pépites bio

Sur ce terreau a poussé une agriculture aujourd‘hui réputée pour ses vins prestigieux - châteauneuf-du-pape (encore lui), gigondas, etc. -, ses fraises, ses melons, ses truffes et sa bio, justement pas prise pour une truffe. Alléluia ! Dans le département, elle représente près de 34 % des surfaces agricoles* et 30 % des fermes (presque 1 500). C‘est dans la communauté d‘agglomération de Carpentras qu‘elles sont les plus nombreuses. "Toute cette production, c‘est exceptionnel, s‘exclame Shéhérazade Benhadda, la directrice du magasin Biocoop L‘Auzonne. On a même du gingembre, des amandes fraîches… Que des pépites !" En moyenne, les magasins Biocoop réalisent 15 % de leur chiffre d‘affaires avec le local. Pour L‘Auzonne, c‘est 25 %. Ce miracle tient aux 150 producteurs et transformateurs qui livrent toutes les semaines, dont 30 maraîchers qui fournissent presque tous les légumes. Mais pas de carottes. Quoi, elles n‘aiment pas la Provence les carottes ? "Rien à voir", selon Sébastien Garcia, dit Cachou, maraîcher au Thor, qui dit n‘avoir "qu‘un Dieu : mère Nature". Il s‘est installé il y a dix ans sur une terre très dégradée. Il l‘a soignée avec amour et patience, et aussi avec du fumier de brebis et autres apports organiques. Il approvisionne le magasin en concombres longs l‘été et en légumes d‘hiver. "La carotte demande beaucoup de désherbage, explique-t-il. Elle n‘est pas rentable pour une petite exploitation peu mécanisée."

Une partie des 19 salariés du magasin associatif Biocoop l'Auzonne. Il appartient à ses 1 200 adhérents mais il est ouvert à tout le monde. © Emmanuel Ferrand
Sophie Mus.

Sophie Mus

Piquée d'abeilles !

C‘est l'histoire d‘un coup de foudre. Celle d‘une jeune femme qui se destine au théâtre, mais qui découvre l‘apiculture lors de ce qui était censé n‘être qu‘un job alimentaire. Elle y reste finalement trois ans, le temps de se former, en bio déjà. En 2004, elle crée son entreprise, Chantemiel. "Je la gère de A à Z : l‘élevage, les soins, la transhumance, la récolte, l‘extraction, etc. J‘aime tout dans ce métier, sauf le bricolage pour l‘entretien des 250 ruches", confie Sophie Mus lorsque nous la rencontrons dans sa miellerie, à Cabrières-d‘Avignon. Nous sommes en mai et les abeilles butinent sous d‘autres cieux : l‘acacia et le châtaignier en Isère, la bruyère blanche dans le Var, le romarin dans le massif de l‘Étoile, etc. Toutes finiront la saison avec la lavande. Sophie leur rend régulièrement visite. "Elles sont sensibles à la pollution et aux pesticides. Les agriculteurs ont besoin d‘elles pour la pollinisation des cultures, ils auraient intérêt à ce qu‘on travaille ensemble", lâche-t-elle avec douceur… et une pointe d‘agacement. Selon la météo et la qualité de l‘air, elle peut avoir une gamme de six miels qu‘elle vend dans une dizaine de magasins Biocoop du Sud-Est. Non chauffés, ils conservent toutes leurs qualités gustatives et médicinales. C‘est la moindre des choses pour respecter le consommateur. Et les abeilles, capables, selon l‘expérience de l‘apicultrice, d‘éprouver une forme de reconnaissance envers l‘humain.

Patrick Jacquier

Du temps au temps

Qu‘est-ce qui pousse un ancien journaliste, passé par la restauration et la vie nocturne, à se lancer dans l‘agriculture à 40 ans ? L‘envie de faire enfin ce dont il rêvait. En 2008, il acquiert des terres avec sa famille à Mazan. Brevet professionnel agricole, spécialité oléiculture bio, en poche, il se lance seul. "Je voulais produire de la manière la plus naturelle possible, sans pesticides, avec peu d‘interventions, dit-il. En plantant des oliviers et des amandiers, je relance des espèces méditerranéennes. J‘ai aujourd‘hui 7 hectares. Les oliviers sont des variétés locales - la picholine et l‘aglandau - qui poussent sur des vignes arrachées, dans des terres souvent pauvres. J‘en tire trois types d‘huile : un fruité vert issu d‘une récolte précoce et qui conserve les polyphénols de l‘olive, un fruité mûr qui perd en amertume et un fruité noir dont la fermentation élimine l‘ardence. Pour protéger les oliviers du soleil et des attaques de la mouche qui vient pondre dans les fruits, je les pulvérise d‘argile. On a encore beaucoup à apprendre sur cette culture, mais il n‘y a pas de recherche poussée. L‘olivier donne au bout de cinq ans, la pleine récolte se fait à partir de huit ans. Je donne du temps au temps• Les arbres seront encore là bien après moi."

Les huiles d‘olive Le clos du Rigaou de Patrick Jacquier sont dans les magasins Biocoop de Carpentras et de Cavaillon.

Patrick Jacquier.
Passionnée d'apiculture, Sophie Mus confie qu'elle n'aurait rien voulu faire d'autre en agriculture.

Divine (bio)diversité

Pas de chance ! Ici, les fermes bio sont surtout des petites structures en vente directe, contrastant avec certaines « entreprises » arboricoles conventionnelles aux centaines d‘hectares dédiés au circuit long. Avec peu, voire pas de traitements face aux maladies et ravageurs, les paysans bio doivent être très présents dans les parcelles, observer, analyser, être réactifs. "Sur des petites surfaces, on peut", affirme Florence Guende de la ferme du Rouret à Mazan (voir ci-contre). Il y a vingt ans, elle avait 14 hectares de vignes. Il lui en reste 6,5, ce qui lui permet de mieux gêner le black-rot, pathologie liée à un champignon. Elle produit aussi des céréales, des cerises, élève des volailles. Pour ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, l‘un des dix commandements de la bio très respecté dans le Vaucluse. La diversité des cultures augmente la biodiversité et "la résistance aux aléas climatiques", complète Patrick Augier, polyculteur (raisin de table et de cuve, céréales, olives, pommes, cerises, cucurbitacées) et administrateur de l‘association Agribio 84. Le pire n‘est pas la sécheresse, grâce au système d‘irrigation, mais les fortes chaleurs, le gel, la grêle, etc., de plus en plus fréquents.

Amandes.

Florence Guende

Celle qui plante des arbres

Une magnifique allée arborée mène à la ferme du Rouret, sur un domaine familial tricentenaire à Mazan. On comprend que Florence Guende ait la passion des arbres. "On a toujours mis les volailles sous les cerisiers, c‘était logique, dit-elle. Les poules profitent de l‘ombre et nettoient le verger. On ne savait pas que ça s‘appelait‚ parcours agroforestier !" Cette chimiste qui a travaillé dans les arômes alimentaires est revenue travailler avec sa mère il y a vingt ans. Pas à pas, elles transforment la ferme : conversion bio, réduction des parcelles, de l‘irrigation, du travail du sol, compost, etc. Hyperactive et déterminée, Florence a toujours une réflexion en cours. Actuellement, elle développe l‘agroforesterie sur ses vignes et ses céréales, pour la fraîcheur, la biodiversité, pour maintenir l‘humidité. Elle expérimente "l‘immense pouvoir de l‘arbre" au sein d‘un collectif local qui vient de rejoindre une structure régionale, Agroforesteries Provence Alpes Méditerranée (APAM). "Ça bouge mais pas assez vite parce qu‘il y a urgence", estime-t-elle. Elle fait aussi de la pédagogie auprès du grand public, notamment des scolaires venus plusieurs fois planter des arbres, avec le soutien des magasins Biocoop de Carpentras et du Thor. Son objectif : faire évoluer les regards sur l‘agriculture, car les enjeux climatiques et d‘autonomie alimentaire nous concernent tous.

Florence Guende.
Chez Cachou le maraîcher, qui a installé sa ferme sur d'anciennes cultures de gazon, la bio a permis à la biodiversité de reprendre ses droits.

On garde la foi

La famille de Patrick Augier est en bio depuis 1966. Créé par une association de consommateurs en quête de produits sains, le magasin Biocoop L‘Auzonne date de 1984. La bio d‘ici n‘est pas née de la dernière pluie ! "Les histoires familiales perdurent, il y a eu une réelle transmission des valeurs et savoir-faire", commente Shéhérazade Benhadda, vantant l‘engagement des producteurs. D‘après Patrick Augier, toutes les nouvelles installations agricoles se font en bio. Elles pourraient être plus nombreuses sans "la guerre à la surface" avec les conventionnels qui n‘en finissent pas de s‘agrandir. Il en a gros aussi quand il parle de « la perte de l‘esprit bio » due à la "course au prix" qui profite aux intermédiaires mais nuit aux paysans, mal rémunérés, et aux consommateurs qui payent parfois trop cher. "Avant, on nous prenait pour des hurluberlus. Maintenant, on passe presque pour des escrocs", abonde Sébastien Garcia qui "ne travaille qu‘avec Biocoop parce qu‘il y a une bonne éthique". À Carpentras, Shéhérazade, comme beaucoup de collègues du réseau, dit ne pas discuter les prix avec les producteurs, mais elle leur demande d‘être cohérents entre eux. Elle applique ensuite de faibles marges, une obligation inscrite dans les statuts du magasin.

Autre sujet présent dans toutes les bouches, le manque d‘accompagnement des pouvoirs publics. Notre petit doigt nous dit que ça ne va pas s‘arranger. Mais les bio les plus convaincus du Comtat restent combatifs. "Les choses vont bouger, et c‘est de notre côté que ça va se passer, prophétise Florence Guende. Le modèle dominant s‘enfonce. Nous, habités par ce qu‘on fait, on apporte l‘espoir et des solutions." La messe est dite !

ÇA C'EST BIOCOOP !

  • MAGASINS. Le Vaucluse compte, au 20 juillet, dix magasins à Apt, Avignon, Bollène, Carpentras, Cavaillon, Le Thor, Maubec, Montfavet, Orange et Vaison-la-Romaine.

*Agence bio, 2024.

 

Article extrait du n°137 de CULTURE BIO, le mag de Biocoop, distribué gratuitement dans les magasins du réseau, dans la limite des stocks disponibles.